Fugacité ou la grâce de Noël
Que désirer ?
Elle ne sait pas très bien, elle ne sait plus.
Que faut-il attendre ? Que faut-il faire ? Comment se préparer ?
Questions sans réponse.
Les jours avancent, accélèrent, s’entrechoquent l’un l’autre, se percutent, se dévorent.
Et celui-là qu’on attend (mais est-ce si sûr qu’on l’attend ? Elle ne sait plus très bien), va-t-il disparaître aussi vite que les autres, se laisser engloutir ? Fumée qui s’évanouit ? Ou va-t-il résister vaillamment, tenir plus longtemps, fléchir mais sans casser, comme un sapin malmené par les bourraques ? (un sapin, justement !)
Mais il sombrera lui aussi, il passera. Comme tous les jours. Comme chaque jour.
Qu’aura-t-il laissé ?
QU’AURA-T-IL LAISSÉ ?
Une trace fugace ?
Quelques aiguilles au fond des pantoufles, comme seul maigre souvenir ?
C’est trop peu.
Trop peu pour la contenter.
C’est même absurde. Absurde. Non-sens !
Alors, que faut-il faire, que faut-il attendre ?
Elle a renoncé à penser que c’est l’abondance qui lui donnera un souvenir impérissable. Que l’abondance marquera davantage son esprit.
Néant cela aussi. Fumée. L’abondance est tout aussi fugace. Illusion. Poudre aux yeux. Elle ne comble rien.
Rien d’autre qu’un vide toujours plus béant.
Que faire ? Le jour attendu est presque là.
Ou déjà presque las… ? Las de son inanité…
Faudrait-il alors ne rien faire ? Faire comme chaque année, en ayant renoncé à espérer davantage, à attendre ?
Faudra-t-il se contenter de son petit rituel : messe (plus tôt elle est, mieux c’est), réveillon, cadeaux, repas démesuré ? La messe suffira-t-elle à se dire que tout est accompli ?
Faudra-t-il tenter de s’imposer une certaine sobriété heureuse afin de répondre à une injonction à la mode et de calmer sa conscience pas encore tout à fait endormie ?
Faudra-t-il répéter à l’envie, tel un slogan, joie, paix, simplicité, lumière, partage, pour tenter de conjurer l’impression de vide et de non-sens ?
Elle sait bien au fond d’elle-même que cela ne la satisfait pas.
Elle sait qu’il manque quelque chose.
Elle sait que le rituel peut rester coquille vide. Malgré la messe.
Elle sait qu’elle doit attendre plus, qu’elle doit attendre quelque chose.
Elle sait qu’elle doit attendre autrement.
Et elle sait qu’il est encore temps.
Et elle sait qu’elle ne peut plus faire taire ce désir.
Et elle sait que la fugacité ne laisse rien, ne comble rien.
Elle sait.
Mais elle sait aussi qu’elle ne peut pas être trop gourmande, qu’elle n’a aucun pouvoir pour réclamer quoi que ce soit.
Elle sait qu’elle n’a rien préparé, et qu’elle doit fuir l’orgueil comme la peste.
Qu’elle n’a rien préparé.
Rien attendu, au fond.
Elle n’a que ses larmes.
Ses larmes.
Pour supplier que le Sauveur s’arrête un peu chez elle.
Oh, elle n’est pas trop gourmande, elle sait que cela n’est pas bien. Mais elle espère. Et ses larmes jaillissent. Et supplient.
Et elle ose les laisser couler. Pour qu’il les voit lui, lui qui est suspendu sur le bois (de là, il voit tout).
Pour qu’il voie ses larmes qui le supplient de s’arrêter chez elle un petit peu. Un petit instant. Tout petit instant.
Pour que Noël soit Noël.
Pour qu’il dépose une trace de son passage dans son cœur. Comme la trace de son petit corps dans la paille de la crèche. Une trace indélébile. Une trace qui repousse la fugacité.
Une trace qui demeure. Signe d’une place toujours libre, toujours offerte.
Pour lui.
Pour qu’il revienne et qu’il demeure. Parole déposée.
Les larmes coulent, elle n’a que ses larmes.
Elle n’a rien fait, rien préparé.
Mais elle attend.
Et ses larmes coulent et supplient. Qu’il s’arrête.
Que cette messe soit une messe, unique. Qu’elle soit une entrée dans le mystère. Et non un survol fugace…
Elle n’a que ses larmes, comme attente.
Elle attend.
La grâce de Noël.
Pour elle et pour le monde. Qui attend, sans savoir.
La grâce de Noël.